Réinventer la livraison hors domicile : de la Lituanie au Brésil

27 Novembre 2025

c

Gabrielius Bilevičius, Directeur des ventes et du marketing pour les Pays baltes et Bruno Mazzoni Tortorello, CEO de JADLOG au Brésil

Le succès d’un réseau de livraison hors domicile (OOH – Out-of-Home) repose avant tout sur une chose : comprendre les personnes qui l’utilisent. Les études1 montrent que la livraison OOH n’est pas une solution « clé en main ». Elle se façonne selon la culture et les habitudes locales. Afin d’explorer comment la culture influence la réussite de la livraison OOH, nous avons échangé avec deux dirigeants du réseau Geopost : Bruno Mazzoni Tortorello, CEO de JADLOG au Brésil, et Gabrielius Bilevičius, Directeur des ventes et du marketing pour les Pays baltes. 

De la Lituanie, véritable « nation des consignes », au Brésil où les relais s’appuient sur la convivialité des commerces de proximité, tous les deux partagent un message clair : bâtir un réseau OOH solide ne consiste pas à déployer un modèle unique, mais à s’adapter à la géographie, à la culture et au mode de vie local dans chaque marché. 

Avec 57 000 collaborateurs dans le monde et un réseau solidement implanté localement dans de nombreux pays, Geopost est idéalement positionné pour répondre aux besoins spécifiques tout en apportant une forte valeur ajoutée internationale.  

 

Le marché européen des consignes automatiques devrait croître de 16,5 % en moyenne par an d’ici 2031¹. La Lituanie y contribue largement - comment expliquez-vous ce succès ? 

Gabrielius Bilevičius: La croissance en Lituanie est impressionnante. En 2018, nous avons démarré avec seulement 20 consignes. Fin 2025, nous en compterons plus de 420 – un nombre remarquable pour un pays de cette taille, et nous continuons d’étendre le réseau. Aujourd’hui, environ 82 % des colis sont livrés via des consignes, soit près de quatre fois la moyenne européenne. 

Ce succès repose à la fois sur la culture et la concurrence. Les Lituaniens sont très à l’aise avec les services digitaux en libre-service : e-administration, shopping, banque mobile, e-commerce… Cela a donné naissance à ce que nous appelons lietuvškas santūrumas, « la retenue lituanienne », qui traduit une préférence pour l’indépendance et l’efficacité. Un exemple concret : 59 % des Lituaniens choisissent les consignes pour éviter le contact physique².

d

 

La concurrence entre les transporteurs a également accéléré l’innovation. Ces dernières années, plusieurs acteurs ont développé leur offre. Pour se démarquer, les réseaux OOH sont désormais entièrement automatisés, intégrant des fonctionnalités comme le paiement à la livraison, la gestion des retours et l’impression d’étiquettes, le tout accessible 24h/24. 

 

Bruno, les études montrent que le Brésil est l’un des marchés à la croissance la plus rapide au monde, avec 66,6 millions d’e-consommateurs en 2024. Pourtant, le pays reste encore émergent sur la scène de la livraison hors domicile³. L’avez-vous constaté vous-même en développant votre réseau OOH ?  

Bruno Mazzoni Tortorello: Oui, la livraison hors domicile est encore très récente au Brésil. JADLOG a été pionnier en lançant son réseau PUDO (Pick-Up, Drop-Off Point - Points de retrait et dépôt) en 2017. Au début, les gens ne comprenaient pas pourquoi ils devaient se déplacer pour récupérer un colis alors que la livraison à domicile fonctionnait très bien. Notre taux de réussite à la première livraison est de 96-97 %, ce qui est considérablement élevé par rapport à l’Europe. En premier lieu, une explication culturelle ressort : au Brésil, il y a presque toujours quelqu’un à la maison - un membre de la famille, un voisin, ou encore un gardien d’immeuble. 

Au Brésil, la livraison hors domicile est encore très récente. Au début, les gens ne comprenaient pas pourquoi ils devaient se déplacer pour récupérer un colis alors que la livraison à domicile fonctionnait très bien.” - Bruno Mazzoni Tortorello, CEO de JADLOG 

Nous avons commencé par nous concentrer sur les dépôts et la logistique des retours. Ce n’est que récemment que nous avons vu augmenter le nombre de clients qui optent pour le retrait de leurs colis en point relais, surtout lorsque les grands acteurs du e-commerce proposent l’option PUDO au moment du paiement. Ce modèle de service offre aux clients des lieux spécifiques où ils peuvent facilement récupérer ou déposer leurs colis. Cette activité, que nous appelons “pick-ups”, ne représente encore qu’environ 5 à 10 % des livraisons, mais elle progresse rapidement. 

 

Gabrielius, vous avez mentionné la forte culture numérique en Lituanie. Pensez-vous que la technologie influence le comportement des consommateurs ? 

La technologie et la fiabilité sont clairement essentielles. L’option consigne est parfaitement intégrée au processus de paiement en ligne - et c’est souvent le choix par défaut, à la fois simple et fluide. Gabrielius Bilevičius Directeur des ventes et du marketing, Pays baltes 

Ici, les consignes ont même évolué pour devenir de véritables micro-hubs multifonctions. Les clients peuvent envoyer des colis, retourner des commandes en ligne et même effectuer des paiements. Ce n’est donc plus seulement de la livraison hors domicile, mais un écosystème de services qui s’inscrit dans notre mode de vie basé sur l’indépendance, la rapidité et le minimum de contact. 

L’emplacement est un autre facteur clé. Les consignes sont installées dans des zones à forte fréquentation : supermarchés, stations-service, quartiers résidentiels et gares ou stations. Elles sont accessibles 24h/24, ce qui est crucial pour les personnes à l’emplois du temps chargé. Pour 76 % des Lituaniens, la priorité absolue est de pouvoir récupérer leurs colis quand cela leur convient, et non quand le livreur arrive⁴. 

 

Au Brésil, votre marché semble davantage basé sur le relationnel. Pourquoi pensez-vous que les points relais ont rencontré plus de succès que les consignes ? 

B.M.T.: Tout simplement parce que les Brésiliens adorent discuter ! Quand les gens se rendent dans un point relais, ils échangent souvent avec le commerçant, posent des questions sur d’autres produits ou profitent simplement de cette interaction. Pour beaucoup, une consigne paraît trop impersonnelle.

c

 

Nos points relais, souvent des petits commerces de quartier, s’intègrent parfaitement à la culture locale. Ils ne se limitent pas à la logistique : ce sont de véritables lieux de convivialité. Ce lien humain crée de la confiance, surtout dans les zones où les échanges en face-à-face restent privilégiés. 

 

L’approche OOH et le contexte culturel de vos deux pays sont très différents. Comment voyez-vous ces contrastes influencer vos stratégies ? 

Gabrielius Bilevičius: En Lituanie, l’indépendance et l’importance accordée à la technologie sont des traits culturels forts, donc l’automatisation paraît naturelle. Nous nous efforçons de rendre la livraison hors domicile fluide et de réduire les frictions au maximum. Dans un pays où les gens font déjà confiance aux plateformes numériques, la consigne est vraiment la solution OOH la plus logique. Mais cela ne signifie pas forcément qu’elle fonctionnerait ailleurs.

B.M.T.: Exactement. Pour nous, il s’agit d’une évolution. Nous avons vite compris que proposer directement des solutions de retrait ne fonctionnait pas : il y avait trop de barrières culturelles. Nous avons donc commencé par les dépôts et les retours, plus faciles à adopter. Aujourd’hui, à mesure que les gens s’y habituent, je suis convaincu que les retraits suivront.

c

 

Chaque pays doit trouver son propre point d’entrée. Pour nous, l’aspect social et la présence humaine sont essentiels. Une fois que les gens feront confiance au système, nous pourrons introduire progressivement davantage d’automatisation. 

 

La croissance du réseau OOH au Brésil semble également liée à l’innovation. Quelle importance cela a-t-il pour le développement de votre réseau ? 

B.M.T.: Une importance absolument essentielle. Notre solution de logistique des retours, lancée l’an dernier avec un simple QR code, est aujourd’hui la meilleure du marché. Avant cela, la seule option était le service postal national, lent, coûteux et limité aux horaires de bureau. Désormais, les clients peuvent déposer leurs retours dans l’un de nos plus de 3 500 points de retrait et dépôt, ouverts plus longtemps et bien plus pratiques. C’est aussi extrêmement utile pour les personnes qui vendent sur des marketplaces et doivent déposer un, deux ou trois colis par jour. 

Chaque pays doit trouver son propre point d’entrée. Pour nous, l’aspect social et la présence humaine sont essentiels.” - Bruno Mazzoni Tortorello, CEO de JADLOG 

À long terme, je pense que les retours vont tripler et que les solutions de retrait vont croître plus rapidement à mesure que les marketplaces renforcent leur intégration. Amazon a ouvert la voie, et les autres suivront. Mais encore une fois, l’adoption doit être organique - elle doit avoir du sens par rapport aux habitudes des clients. 

 

La Lituanie connaît un boom des consignes, une véritable success story européenne. Quelles leçons les autres marchés pourraient tirer de votre expérience ?  

Gabrielius Bilevičius: La leçon la plus importante, c’est que la livraison hors domicile doit être pertinente localement. Vous pouvez avoir la meilleure technologie, mais sans fiabilité, confiance et praticité, cela ne fonctionnera pas. 

 “Vous pouvez avoir la meilleure technologie, mais sans fiabilité, confiance et praticité, cela ne fonctionnera pas. Gabrielius Bilevičius, Directeur des ventes et du marketing, Pays baltes

En Lituanie, nous n’avons pas simplement installé des consignes ; nous les avons intégrées dans la routine quotidienne des personnes. Elles fonctionnent 24h/24, même les jours fériés, et sont situées à proximité des lieux que les gens fréquentent régulièrement. Le paiement des achats et l’envoi de colis sont parfaitement intégrés aux applications en libre-service ou peuvent être effectués directement à la consigne. 

 

Vous soulignez tous les deux l’importance du comportement humain dans l’adoption des solutions OOH. Comment voyez-vous l’avenir de la livraison hors domicile évoluer sur vos marchés ? 

Gabrielius Bilevičius: Pour la Lituanie, la prochaine étape, c’est la durabilité et la diversification. Nous intégrons des véhicules électriques pour la livraison du premier et du dernier kilomètre et nous étendons les consignes aux petites villes. 

B.M.T.: Au Brésil, je crois vraiment que nous sommes en train de construire une nouvelle culture. Nous démontrons aux clients que la livraison hors domicile peut être aussi pratique que la livraison à domicile, voire plus flexible. Je pense que les points relais resteront dominants, mais nous verrons aussi apparaître des variantes plus diversifiées, comme des horaires élargis ou des consignes installées à l’intérieur des points relais.

 

Découvrez comment la livraison hors domicile redessine les paysages urbains et transforme les espaces publics

 

Note: Pour préparer cette interview, nous avons échangé avec la Professeure Leise Kelli de Oliveira, de l’Université Fédérale de Rio Grande do Sul à Porto Alegre, au Brésil. Spécialiste de la recherche sur le transport urbain de marchandises, la logistique urbaine et la mobilité, elle a pu nous éclairer sur le rôle essentiel que joue la culture dans la logistique de livraison. 

1.Mobility Foresights. Europe Smart Parcel Locker Market Size, Share, Trends and Forecasts 2031. Aug. 2025.

2 - 3. The Rise of Lockerland: How the Boom Happened in Lithuania. DPD Lithuania 2025.   

4. Oliveira, Leise & Colaco, Rui & Gonçalves Ferreira de Araújo, Gracielle & de Abreu e Silva, Joao. The Role of Walkability in Shaping Shopping and Delivery Services: Insights into E-Consumer Behavior. Logistics. 2025.